Face à l’ingéniosité croissante des criminels financiers, la justice durcit son arsenal contre le blanchiment d’argent. Peines de prison, amendes colossales, confiscations : zoom sur un dispositif répressif en constante évolution.
Un cadre juridique renforcé pour lutter contre le blanchiment
La lutte contre le blanchiment d’argent s’est considérablement intensifiée ces dernières années. Le Code pénal et le Code monétaire et financier ont été régulièrement amendés pour élargir la définition de l’infraction et durcir les sanctions. Aujourd’hui, le blanchiment est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende dans sa forme simple. Ces peines peuvent être portées à 10 ans et 750 000 euros en cas de circonstances aggravantes, comme l’utilisation des facilités procurées par l’exercice d’une activité professionnelle.
Le législateur a voulu frapper fort en prévoyant des peines complémentaires dissuasives : interdiction d’exercer une profession en lien avec l’infraction, confiscation des biens ayant servi à commettre l’infraction ou qui en sont le produit, fermeture d’établissement. Pour les personnes morales, l’amende peut atteindre 3,75 millions d’euros, voire le quintuple du produit de l’infraction.
Une répression accrue des professionnels complices
Les autorités ont pris conscience du rôle clé joué par certains professionnels dans les circuits de blanchiment. Avocats, notaires, experts-comptables, agents immobiliers ou encore établissements financiers sont désormais soumis à des obligations de vigilance et de déclaration de soupçon. Le non-respect de ces obligations est sévèrement sanctionné.
La Commission des sanctions de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) n’hésite pas à infliger de lourdes amendes aux banques défaillantes. En 2022, une grande banque française s’est ainsi vue infliger une sanction record de 50 millions d’euros pour des manquements à ses obligations en matière de lutte anti-blanchiment.
Les ordres professionnels ont eux aussi durci leurs règles déontologiques. Un avocat ou un notaire reconnu coupable de complicité de blanchiment s’expose à une radiation définitive, en plus des sanctions pénales.
La confiscation des avoirs criminels : l’arme fatale
Au-delà des peines d’emprisonnement et d’amende, la confiscation des avoirs criminels est devenue l’arme privilégiée des autorités. L’objectif est simple : priver les délinquants du fruit de leurs activités illicites.
La loi permet désormais de confisquer non seulement les biens directement liés à l’infraction, mais aussi l’ensemble du patrimoine du condamné dont il ne peut justifier l’origine licite. Cette présomption d’origine illicite facilite grandement le travail des enquêteurs.
L’AGRASC (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués) joue un rôle central dans ce dispositif. En 2022, elle a géré plus de 1,5 milliard d’euros d’avoirs criminels saisis ou confisqués.
Une coopération internationale renforcée
Le blanchiment d’argent étant par nature une activité transfrontalière, la coopération internationale est essentielle. La France a ratifié de nombreuses conventions internationales et participe activement aux travaux du GAFI (Groupe d’action financière).
Au niveau européen, la création du Parquet européen en 2021 marque une avancée majeure. Cette nouvelle institution est compétente pour enquêter et poursuivre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE, dont le blanchiment d’argent.
Les autorités françaises collaborent étroitement avec leurs homologues étrangers pour traquer les flux financiers suspects. Les demandes d’entraide judiciaire se multiplient, facilitant la saisie d’avoirs criminels à l’étranger.
Vers une responsabilité accrue des entreprises
La tendance est au renforcement de la responsabilité des personnes morales. Les entreprises doivent désormais mettre en place des programmes de conformité robustes pour prévenir les risques de blanchiment.
La loi Sapin II de 2016 a introduit l’obligation pour les grandes entreprises de se doter d’un dispositif anti-corruption, incluant des mesures anti-blanchiment. Le non-respect de cette obligation est sanctionné par de lourdes amendes.
Les autorités encouragent l’auto-dénonciation et la coopération des entreprises. Une société qui révèle spontanément des faits de blanchiment et coopère pleinement à l’enquête peut bénéficier d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), évitant ainsi un procès pénal.
Des sanctions extra-judiciaires qui font mal
Au-delà des sanctions pénales, les conséquences d’une condamnation pour blanchiment peuvent être dévastatrices pour une entreprise ou un individu. Réputation ternie, perte de clientèle, difficultés d’accès au crédit : les dommages collatéraux sont considérables.
Les autorités de régulation sectorielles n’hésitent pas à prononcer des sanctions administratives complémentaires. Un établissement financier impliqué dans une affaire de blanchiment s’expose ainsi à un retrait d’agrément, équivalant à une condamnation à mort économique.
Même en l’absence de condamnation pénale, une simple mise en cause dans une affaire de blanchiment peut avoir des conséquences dramatiques. Les banques n’hésitent plus à clôturer les comptes de clients suspectés de pratiques douteuses, au nom de la « dé-risking ».
Face à l’arsenal répressif déployé, le blanchiment d’argent n’a jamais été aussi risqué. Si l’ingéniosité des criminels reste un défi permanent, la détermination des autorités à frapper au portefeuille semble porter ses fruits. La bataille est loin d’être gagnée, mais le message est clair : le crime ne paie plus.