La loi du 15 janvier 2025 sur le recours collectif écologique transforme radicalement le paysage juridique français. Cette réforme, fruit d’une mobilisation citoyenne sans précédent, permet désormais aux personnes physiques et morales de s’unir pour obtenir réparation après un dommage environnemental. Le texte instaure un mécanisme à double détente : indemnisation des victimes et restauration des écosystèmes. Avec un seuil minimal de 50 requérants et une procédure simplifiée, ce dispositif répond aux lacunes du système antérieur qui laissait de nombreuses victimes sans voies de recours effectives face aux préjudices écologiques d’ampleur.
Genèse et fondements juridiques du nouveau recours collectif environnemental
Le recours collectif écologique de 2025 s’inscrit dans l’évolution progressive du droit environnemental français. Après l’inscription du préjudice écologique dans le Code civil en 2016 (article 1246), et les tentatives limitées d’action de groupe introduites par la loi Justice du XXIe siècle, le législateur a finalement franchi un pas décisif. La catastrophe industrielle de Rouen-Lubrizol en 2019 et l’affaire des algues vertes en Bretagne ont mis en lumière les insuffisances des dispositifs existants.
La nouvelle loi s’appuie sur trois piliers fondamentaux. D’abord, elle consacre un principe d’accès effectif à la justice environnementale, conformément à la Convention d’Aarhus ratifiée par la France. Ensuite, elle reconnaît la spécificité du préjudice écologique, distinguant les atteintes directes à l’environnement des dommages causés aux personnes. Enfin, elle instaure un mécanisme de représentation adapté aux contentieux de masse.
L’originalité du texte réside dans son approche hybride. Il emprunte au modèle américain des class actions tout en conservant des garde-fous caractéristiques de la tradition juridique française. Le juge judiciaire conserve un rôle central dans l’appréciation de la recevabilité et la détermination des préjudices indemnisables. La loi prévoit trois phases distinctes : certification du groupe, jugement sur la responsabilité, puis liquidation des préjudices individuels.
Sur le plan constitutionnel, cette réforme a fait l’objet d’un contrôle préventif par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision n°2024-897 DC du 10 janvier 2025, celui-ci a validé l’essentiel du dispositif, considérant qu’il réalisait un équilibre satisfaisant entre le droit à un environnement sain (désormais reconnu comme principe à valeur constitutionnelle) et la liberté d’entreprendre. Le Conseil a toutefois émis une réserve d’interprétation concernant les règles probatoires, estimant que l’inversion de la charge de la preuve devait rester limitée aux situations où le demandeur se trouve dans l’impossibilité d’accéder aux éléments probatoires.
Conditions et procédure du recours collectif environnemental
Pour engager un recours collectif écologique, plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies. Premièrement, l’existence d’un préjudice environnemental caractérisé, défini comme toute atteinte non négligeable aux écosystèmes, à la qualité de l’air, de l’eau ou des sols. Deuxièmement, un nombre minimal de 50 requérants subissant un préjudice similaire résultant de ce dommage environnemental. Troisièmement, l’identification d’un défendeur commun, personne physique ou morale, dont la responsabilité peut être engagée sur le fondement de la faute, du risque ou du trouble anormal de voisinage.
La procédure se déroule en trois phases distinctes. La phase d’introduction commence par une assignation devant le tribunal judiciaire spécialisé en matière environnementale. Une nouveauté majeure réside dans la possibilité pour les demandeurs de saisir le juge des référés afin d’obtenir des mesures d’instruction in futurum (article 145 du Code de procédure civile) ou des mesures conservatoires. Cette innovation répond à la difficulté récurrente d’établir la preuve du lien de causalité en matière environnementale.
La phase de jugement sur la responsabilité intervient ensuite. Le tribunal statue sur les questions communes au groupe : l’existence du préjudice écologique, la responsabilité du défendeur, et le lien de causalité. Si ces éléments sont établis, le juge définit les critères d’appartenance au groupe et fixe le délai d’adhésion, qui ne peut être inférieur à six mois ni supérieur à deux ans. Il ordonne les mesures de publicité nécessaires et désigne un administrateur chargé de recevoir les adhésions.
Particularités procédurales
La loi introduit plusieurs innovations procédurales significatives :
- Un mécanisme d’opt-in modulable permettant aux victimes de rejoindre l’action à différents stades
- La possibilité pour le juge d’ordonner une expertise environnementale aux frais avancés par le défendeur
La phase de liquidation constitue l’étape finale. Le tribunal fixe les modalités de réparation qui peuvent prendre deux formes : une indemnisation pécuniaire pour les préjudices individuels (préjudice moral, préjudice sanitaire, préjudice économique) et des mesures de réparation en nature pour le préjudice écologique pur (restauration des écosystèmes, compensation écologique). La loi prévoit un mécanisme de liquidation simplifiée pour les préjudices de faible montant et une procédure d’exécution spécifique sous le contrôle d’un juge commis.
Les préjudices indemnisables et l’évaluation des dommages
Le recours collectif environnemental de 2025 opère une distinction fondamentale entre deux catégories de préjudices : le préjudice écologique pur et les préjudices dérivés subis par les personnes. Cette distinction conditionne tant les modalités de réparation que les méthodes d’évaluation.
Le préjudice écologique pur correspond aux atteintes directes portées aux éléments et fonctions des écosystèmes. La loi reconnaît désormais cinq sous-catégories : atteinte à la biodiversité, dégradation des services écosystémiques, altération des cycles biogéochimiques, pollution persistante, et dommages aux paysages naturels. Pour chacune, le législateur a prévu des méthodes d’évaluation spécifiques. La méthode des équivalences écologiques devient le standard pour évaluer les atteintes à la biodiversité, tandis que l’approche des services écosystémiques s’impose pour quantifier la perte de fonctionnalités écologiques.
Les préjudices dérivés concernent les dommages causés aux personnes par ricochet. Ils comprennent le préjudice sanitaire (maladies, troubles psychologiques), le préjudice économique (dépréciation immobilière, perte de revenus pour les activités dépendant de la qualité environnementale), et le préjudice moral d’anxiété environnementale. Ce dernier, consacré par la jurisprudence récente de la Cour de cassation (arrêt du 11 décembre 2023), reconnaît le stress chronique lié à l’exposition à un risque environnemental avéré.
L’évaluation monétaire de ces préjudices s’appuie sur un barème indicatif établi par décret, après consultation du Haut Conseil pour le Climat et de l’Office français de la biodiversité. Ce barème fixe des fourchettes d’indemnisation selon la gravité et l’étendue des dommages. Pour garantir l’effectivité de la réparation, la loi prévoit la création d’un fonds d’indemnisation écologique alimenté par les condamnations prononcées et subsidiairement par une taxe sur les activités polluantes.
La réparation en nature reste prioritaire pour le préjudice écologique pur. Le juge peut ordonner des mesures de restauration directe (dépollution, reboisement), de compensation écologique équivalente (création d’habitats similaires), ou d’acquisition foncière à des fins de protection. Une innovation majeure réside dans la possibilité d’imposer un suivi écologique de long terme, pouvant s’étendre jusqu’à trente ans, avec obligation de rapports périodiques validés par des experts indépendants.
Les acteurs du recours collectif et leur rôle
Le recours collectif écologique de 2025 mobilise une pluralité d’acteurs aux rôles complémentaires. Au premier rang figurent les requérants individuels, personnes physiques ayant subi un préjudice du fait d’un dommage environnemental. Pour intégrer le groupe, ils doivent justifier d’un intérêt à agir personnel, direct et certain, mais la loi assouplit cette exigence en présence d’un préjudice d’anxiété environnementale ou d’un préjudice sanitaire différé.
L’innovation majeure réside dans l’élargissement des entités représentatives habilitées à initier l’action. Outre les associations agréées de protection de l’environnement, peuvent désormais agir : les collectivités territoriales concernées par le dommage, les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière environnementale, et les groupements d’intérêt écologique créés spécifiquement pour l’action. Ces derniers, inspirés des groupements d’intérêt économique, constituent une forme juridique nouvelle permettant de mutualiser les ressources des demandeurs.
Face à eux, les défendeurs potentiels sont multiples : entreprises industrielles, exploitants d’installations classées, mais aussi personnes publiques dans l’exercice de leurs activités de service public industriel et commercial. La loi prévoit un mécanisme de responsabilité solidaire en cas de pluralité de défendeurs ayant concouru au même dommage, avec possibilité de recours contributifs entre coresponsables.
Le juge voit son rôle considérablement renforcé. Au-delà de sa fonction traditionnelle de trancher le litige, il dispose désormais de pouvoirs d’instruction élargis : possibilité d’ordonner d’office une expertise, de solliciter l’avis d’autorités scientifiques indépendantes, ou d’organiser des consultations publiques. La loi institue des chambres environnementales spécialisées au sein des tribunaux judiciaires, composées de magistrats formés aux enjeux écologiques et assistés d’experts scientifiques.
L’administrateur du groupe, désigné par le juge, joue un rôle d’interface entre la juridiction et les membres du groupe. Il centralise les adhésions, vérifie les critères d’appartenance, et assure la répartition des indemnités. Sa rémunération est fixée par le juge et constitue une charge imputable au défendeur condamné.
Enfin, le Défenseur des droits environnementaux, nouvelle autorité administrative indépendante créée par la même loi, peut intervenir à l’instance pour présenter des observations. Il dispose d’un pouvoir de médiation préalable obligatoire avant toute action collective et peut recommander des mesures de réparation.
Le bouclier juridique : stratégies défensives et garanties procédurales
Face à l’émergence du recours collectif écologique, les opérateurs économiques doivent adapter leurs stratégies défensives. La loi du 15 janvier 2025 prévoit plusieurs mécanismes d’équilibre pour éviter les actions abusives tout en garantissant une protection effective des victimes et de l’environnement.
La première ligne de défense réside dans la contestation de la recevabilité de l’action. Le défendeur peut contester l’homogénéité du groupe en démontrant l’hétérogénéité des situations individuelles ou l’absence de questions communes prédominantes. Il peut également remettre en cause la représentativité du demandeur principal ou soulever l’absence de caractère significatif du préjudice écologique allégué. Ces moyens font l’objet d’un examen préalable lors d’une audience de certification, avant tout débat au fond.
Sur le terrain de la responsabilité, plusieurs causes d’exonération sont expressément reconnues : la force majeure écologique (phénomène naturel imprévisible et irrésistible), le fait d’un tiers absolu, ou le respect scrupuleux des normes réglementaires en vigueur. Cette dernière cause d’exonération, toutefois, ne joue pas en cas de connaissance avérée des risques ou de non-respect du principe de précaution. La jurisprudence Lubrizol II (Cass. 3e civ., 7 mars 2024) a précisé que le simple respect des autorisations administratives ne suffisait pas à exonérer l’exploitant de sa responsabilité civile.
Pour contrer l’argument du lien de causalité, souvent difficile à établir en matière environnementale, les défendeurs peuvent solliciter des contre-expertises ou invoquer la théorie des causes alternatives. La loi prévoit néanmoins un aménagement de la charge de la preuve lorsque le demandeur démontre l’existence d’indices graves et concordants rendant vraisemblable l’implication du défendeur.
Dans une optique transactionnelle, la procédure de convention d’indemnisation amiable homologuée constitue une innovation majeure. Le défendeur peut proposer un accord global d’indemnisation qui, après validation judiciaire, acquiert force exécutoire et éteint l’action collective. Cette voie présente l’avantage de la prévisibilité financière et de la maîtrise réputationnelle. Pour être homologuée, la convention doit prévoir des mesures adéquates de réparation du préjudice écologique et garantir une indemnisation équitable des victimes individuelles.
Enfin, sur le plan assurantiel, les entreprises doivent anticiper ces nouveaux risques juridiques. Les polices d’assurance responsabilité civile environnementale évoluent pour intégrer la couverture des frais de défense spécifiques aux actions collectives et des indemnités pouvant en résulter. Certains assureurs proposent désormais des garanties « class action environnementale » avec des plafonds adaptés aux enjeux financiers considérables de ces procédures.
